Rechercher

vendredi 20 mars 2020

Goma, la jeunesse emportée dans le courant Kishakoshi


Les dernières décennies ont charrié avec elles une pléthore de phénomènes touchant à divers aspects de la vie des jeunes de la ville de Goma. A coté de la traditionnelle Religion Kiteni, ou la SAPE, évolue un autre phénomène, non moins récurrent pourtant, le phénomène Kishakoshi.
Le Kishakoshi, un terme dérivé du mot français sacoche, désigne un homme élégant, beau, et riche par-dessus le marché, qui se divertit, en contre partie de son argent, avec des filles relativement jeunes. Voilà la définition initiale du Kishakoshi qui, dans ses débuts, était encore aperçu comme déplacé et contraire aux usages. 

Cinq etapes de l'evolution du Kishakoshi
 
Il s'agissait d'abord d'une affaire de jeunes filles reconnues socialement comme professionnelles de sexe et sans familles pouvant prendre en charge leur éducation.
Peu à peu, les poissons allant où va l'eau, le phénomène a pris de l'ampleur. Les jeunes filles sans autre occupation que les travaux ménagers ont constitué la deuxième étape du kishakoshi. Devenant un peu plus tolérant, le phénomène a étendu son champ en charriant dans son lot de jeunes hommes pas forcément opulents mais pouvant quand même, au moyen de leur argent, entretenir des rapports constants avec un nombre donné de jeunes filles. Cela constitue le troisième palier de l'évolution du Kishakoshi.
Petit à petit l'oiseau fait son nid, dit-on. A côté, les nids des oiseaux diffèrent selon la taille de leurs occupants. Est venu le courant de l'emancipation de la femme, avec la marée de slogans qu'elle a apportés. "Toutes les filles à l'école". Et les filles dont les parents  n'ont pas assez de moyens pour supporter leurs études? Certaines vont quand même à l'école elles aussi, mais avec le seul espoir de tomber sur une vieille sacoche, suffisament large et pas assez avare, qui leur permette un confort donné et leur procure un prestige qui soutienne la comparaison avec leurs collègues provenant des familles passablement aisées.  Cette catégorie de filles est devenue tellement rutilante qu'elle entraine dans le phénomène leurs camarades des "familles aisées", ce qui n'a rendu le courant que plus complexe. C'est ce qui semble expliquer le fait que bien des étudiantes se ressourcent dans les bishakoshi –dans l’acception commune, pluriel du mot kishakoshi. C'en est la quatrième étape.
Le cinquième stade de l'évolution du phénomène Kishakoshi est marqué par l'adhésion des femmes mariées. "Si toutes les filles à l'école, alors toutes les femmes au boulot", s’est plu à dire un sage, un peu taquin, celui-là ! "Par le fait qu’a Goma bien des femmes n'ont pas d'occupations bien rémunératrices, elles se font couvrir de quolibets à longueur des journées et ne doivent en rien compter sur les petits cadeaux qui alimentent les liens entre les conjoints, au nom de la parité !" C'est ce que nous a affirmé Cécile, ancienne revendeuse de légumes au quartier Birere, qui en a plusieurs fois été victime. Dans le cas où sa morale n'est pas au bon fixe, une femme qui fait face à des situations similaires n'hésite pas à se ressourcer dans le phénomène Kishakoshi. Ces cinq étapes constituent l'essentiel de l'évolution du Kishakoshi jusqu' à son stade actuel.

A la ceinture dorée, préférer la belle renommée
 
Bien que les adeptes du Kishakoshi se refusent de passer dans la catégorie des professionnelles de sexe, ceux qui s'intéressent au phénomène sont d'accord sur le fait qu'il s'agit incontestablement d'une prostitution voilée.  Il semble que le scandale ne l'est concrètement qu'une fois sa coquille percée, mais les conséquences du phénomène doivent du moins réveiller les consciences.
Le Kishakoshi charrie plusieurs partenaires sexuelles dans sa suite, qu'il remplace à sa guise tels des biens substituables, les mêle à son vagabondage sexuel avant de les noyer, au bout du compte, dans un professionalisme sexuel des plus soutenus. Des mariages se dissolvent, des MST se transmettent à la volée, les grossesses deviennent de plus en plus indésirables dans les entailles du Kishakoshi ; son creux ne grouille visiblement que de fatalités.

Territoire de Beni: Un activisme communautaire restaurateur en période sinistre



Dans un contexte où une nuit sans tuerie est la meilleure nouvelle de la semaine, le moindre geste réparateur peut sauver des vies. C’est à cela que s’applique l’activisme permanent de HEAL Africa dans la région de l’est de la RD Congo. Le territoire de Beni, particulièrement, a été meurtri depuis maintenant six ans. Terrifiantes tueries, des villages entiers vidés de leurs habitants, des quartiers périphériques de la ville de Beni abandonnés par leurs occupants de peur de se faire tuer, cela ne reste pas sans conséquences dans le quotidien de la région.
Le centre-ville de Beni est devenu une sorte de réceptacle pour tous ces déplacés redoutant les massacres dans leurs villages. La bonne partie des activités de la ville ayant été relocalisées vers d’autres agglomérations, la vie n’en est pas devenue plus commode pour toutes ces personnes nouvellement installées en ville. C’est ce qu’illustrent ces propos amers de Nziavake N., déplacée rencontrée à la base WAMAMA SIMAMENI de HEAL Africa en ville de Beni, « J’ai perdu la moitié de ma famille dans le massacre perpétré la nuit du 07 au 08 Décembre 2019 à Kamango ».

Rescapées des tueries, ensuite déplacées. Et après ?

Les femmes et les enfants, au centre de l’activisme communautaire de HEAL Africa depuis sa création, semblent les plus durement affectés par ces tueries quasi-permanentes dans la région de Beni depuis Octobre 2014. Dans leurs villages, ces femmes et enfants ont la possibilité de vivre de l’agriculture. Une fois déplacées vers la ville, la société accorde plus d’opportunités à l’homme qu’à la femme. Un ménage nouvellement installé en ville ne devient que plus vulnérable lorsqu’il doit affronter les méandres de la vie sans son chef qu’elle a perdu lors d’une tuerie récente, raison de leur déplacement.
Devant dorénavant porter le poids de sa famille sans le soutien de son mari et, par-dessus tout, dans un environnement qui ne cède pas les rennes des activités aux femmes, c’est tout un monde empreint de nouveaux défis insurmontables auquel la femme fait face. D’un côté, elle porte le deuil de son mari. De l’autre, elle doit être forte ou tout au moins le paraître pour ses enfants dès lors orphelins de père. Cet état des choses tourne vite en une colère qui approche la haine envers « l’espèce humaine dépourvue de tout trait d’humanité », telle que l’a décrite Kasoki, une rescapée des tueries au quartier Ngadi de Beni.

Par l’ergothérapie, rallumer l’aspiration des femmes à un avenir meilleur

Par dizaines elles sont réunies dans différents auditoires selon le type de métier qu’elles apprennent, ces femmes nouvellement devenues veuves, mères devant affronter la vie sans leurs maris, jeunes filles enceintes des suites de viols massifs par les assaillants. Leur idéal, acquérir une formation vocationnelle devant constituer le moteur de leur nouvel élan vers une nouvelle vie. Elles apprennent la couture, la tapisserie, la coiffure, l’art de banane et bien d’autres métiers au sein de la cellule HEALING ARTS –Les arts qui guérissent– de la base HEAL Africa de Beni-ville.
Rien n’égale la beauté d’un sourire illuminant un visage que l’on a vu éploré la veille. Ces instants de joie partagée, cette expression de l’espoir retrouvé constitue une réponse de gagnante pour ces femmes debout, prêtes à faire face aux calamités dans lesquelles elles ont été plongées par les tueries.
35 ans d’âge, Mme Kaswera N. a perdu son premier mari en 2015, assassiné pendant qu’il labourait le champ au village Mayangose, à une dizaine de kilomètres de Beni. Remariée en 2018, son deuxième mari a été tué dans le Triangle de la mort, vers le village Kamango. « La mort me semblait la seule voie de sortie avant que je n’intègre HEALING ARTS au sein de la base HEAL Africa de Beni. J’ai eu une assistance psycho-sociale qui a ravivé ma volonté de survivre à la perte de mes deux maris méchamment assassinés », a-t-elle confié à ses formateurs lors de l’obtention de son brevet à l’issue de son apprentissage en coupe et couture.
Dans son activisme communautaire, HEAL Africa sensibilise également ces femmes sur la question du genre lors de leur formation. Ce genre, qui charrie les questions essentielles liées à l’état de vulnérabilité de tout genre, s’est avéré essentiel pour beaucoup. Sourde et muette, Aline a été recrutée dans la cellule HEALING ARTS de HEAL Africa Beni à l’âge de 17 ans. A plusieurs reprises, son infirmité l’avait précédemment placée dans des situations délicates l’exposant au viol.
La joie de sa tante maternelle, chez qui elle habite depuis qu’elle a perdu ses deux parents dans les dernières tueries au quartier Ngadi de Beni, ne pouvait être plus franche lorsqu’elle a sorti ces mots de remerciement, « Vous nous avez rendu un service inouï en accordant à notre chère Aline cette chance de devenir autonome par l’apprentissage de la couture. Par ces nouvelles aptitudes qu’elle acquises, nous avons l’assurance que notre fille ne court plus le danger de se faire violer par des inconnus qui la trouveraient errante ».
Si nous n’avons pas la possibilité de mettre fin aux massacres de Beni, nous pouvons tout au moins contribuer à la réduction de la souffrance des veuves et des orphelins qui ponctuent son passage. Un geste charitable envers ces nobles dames réunies au sein de HEALING ARTS dans la base HEAL Africa de Beni, une assistance de tout genre, ou simplement un sourire compatissant lors d’une visite peut leur réchauffer les cœurs. Merci donc de joindre votre effort au nôtre et à celui de nos partenaires en agissant, à quelque niveau que ce soit, en faveur de la réduction de la vulnérabilité de ces femmes et enfants victimes des massacres de Beni.